"Je mappelle Pascal et jai dix sept ans. Malgré mon âge, jai une apparence fragile, bien compréhensible lorsque lon connaît ma vie. La solitude ma beaucoup pesé pendant mon enfance. Jai perdu ma mère à lâge de huit ans dans un accident de voiture. Mon père, lui, ne fut que blessé. Cest lui qui mapprit la mort de ma maman, dune voix retenue dans laquelle je pus distinguer le refus de partager cette douleur avec moi. Jétais sans doute trop petit à ses yeux. Pour noyer son chagrin, il se perdit dans le travail. Il était dune intelligence remarquable, froide. Au fond de moi, je ladmirais davoir atteint une telle réussite ; il avait acquis tout ce quil désirait. A mes yeux cétait un roi. Nous sommes descendus tous les deux, avec mon père, pour régler les affaires de succession. Jentrai non sans émotion dans cette maison quelle venait de quitter. Là bas, la première chose que mon regard avait croisé fut la corne de taureau pointée vers le ciel. Cétait pour mes grands-parents un double fétiche : il servait à exprimer leur foi et à éloigner le mauvais sort. Javais emporté avec moi mon violon qui ne me quittait jamais. Ma grand-mère et ma mère étaient musiciennes. Au moment de remonter à Lyon javais insisté auprès de mon père pour rester quelques jours de plus. Dans trois jours, ce seraient les vacances de la Toussaint. Il avait bien tiqué un peu à propos des cours séchés mais il connaissait bien le lien qui munissait à grand-mère. Et puis la voisine lavait rassuré, elle viendrait jeter un il de temps à autre sur moi. Chaque jour, je revivais les instants de bonheur passés ici au moment des grandes vacances. "
"Un matin, je montai au grenier. La poussière se réveilla au contact du soleil, laissant apparaître une armée daraignées fileuses. Jy retrouvai la dame jeanne dans sa gangue dosier qui servait à faire les vins dorange, de noix, de cerise qui enchantaient les amis, mon herbier confectionné avec passion un été, la cantine militaire de mon grand père et ses récits terribles sur " ses " guerres, les fauteuils en rotin que lon installait, à la belle saison, sous le vieux platane, une girouette rouillée, des photos passées dun temps dépassé, les eaux-fortes de Sandor représentant la Bête du Vaccarès dont grand-mère me contait lhistoire écrite par dArbaud lorsque jétais enfant."
"Chaque objet, chaque parfum me rappelait un mot, un rire, une caresse. Jouvris le coffret à couture qui, silencieux, attendait patiemment le retour de sa maîtresse. Il vint à mes oreilles des bruissements de taffetas, de velours. Il contenait des fils de soie aux couleurs chatoyantes et des dentelles dun temps révolu. Je pris dans ma main les ciseaux élégants en tenue argentée et en forme de cigogne quelle avait rapportés dAlsace. Ses aiguilles en commères, à la langue pointue, ne raconteraient plus les rumeurs et les potins ramenés du marché dArles".