Journal de voyage


Willa Cather
C’est à croire que le monde entier descendait vers le sud. Dans notre compartiment, il y avait 8 femmes du sud, la plupart du peuple et de la campagne et un enfant. Je n’ai rien contre elles - bien au contraire ! Quand je les rencontre dans les tableaux de Millet mais voyager en leur compagnie, dans un compartiment exigu, par une torride journée d’août, j’avoue que c’est une toute autre affaire
L’enfant n’était pas plus vêtu qu’un Bacchus enfant, et sa mère, accablée par la chaleur, à bout de force et de courage, s’en déchargea sur moi et ma valise.
Mon amie avait pour voisine une allemande. En la voyant on pensait tout de suite à un cochon gras et rose qui vient de se vautrait dans la boue. Elle était vêtue d’une robe épaisse et tous les sels que nous avions emportés ne réussirent pas à nous cacher que son dernier bain remonter à plusieurs années. Après quatre heures de voyage, ouf Avignon. C’en est fini de la gretchen et du Bacchus enfant qui perçait ses dents et qui a presque entièrement mangé les courroies de ma valise !
Quelle merveille qu’un bon soleil après un voyage éprouvant. Un voyage plein de sueur, de poussières et de voraces puces françaises. Ne vous attendez bien-sûr pas à certains raffinements : on y prend son bain dans la cuvette du lavabo et on se couche à la chandelle, mais les gens d’ici ont l’art de vivre. Nous dînons dans la salle à manger gothique. Dix plats au menu : petits poissons blancs du Rhône, tête de veau sauce tomate, côtelettes d’agneau sauce aux épinards, melons jaunes, figues, raisins, une soupe de carottes à la crème, des timbales de riz, des alouettes sur canapés et de sublimes petits gâteaux de farine au miel et aux épices. Le tout arrosé de vins qui nous mettent de la tristesse au cœur parce que nous savons que nous n’en boirons jamais plus d’aussi bons. Et combien croyez-vous que nous coûte tout ce luxe ? Pas même deux dollars par jour.


A l’extrême nord, une impressionnante muraille rocheuse se dresse à 300 pieds au-dessus du Rhône. Seul un escalier de pierre en lacets gravit à partir du fleuve cette abrupte paroi qui porte le Palais en couronne. Ce palais est une énorme massa gothique irrégulière, flanquée de 6 tours italiennes carrées, avec une belle cathédrale devant. Il fait face à la ville et derrière sont les jardins suspendus au-dessus du Rhône. Apparemment, ils ne lésinaient pas sur la dépense, ces bons papes et ils ne manquaient pas de goût ! Leur arrivait-il de regretter l’Italie ? Je ne sais, mais ce qui est sûr c’est qu’ils apportèrent l’Italie avec eux. Ca ne dut pas être une mince affaire que de créer un jardin italien au sommet du rocher. Mais tout cela n’est rien comparé à ce que l’œil découvre quand on atteint la plus haute terrasse. Décidément quand ils bâtissent, ces Saints Pères savaient choisir leurs sites. A vos pieds la ville blanche avec ses rues étroites, ses toits rouges et son grand fleuve fier et vert. Au-delà, à perte de vue, les plaines de la vallée du Rhône, avec leurs figuiers, leurs oliviers, leurs haies de saules et de peupliers. Plus au sud, la chaîne des Cévennes et au nord et à l’est les Alpes, toujours les Alpes. Des nuages cachaient leurs flancs, mais base et sommet étaient dégagés et la neige de leurs pics les plus hauts étincelait. A cette heure du jour, ces cimes étaient d’un rose pourpré, comme si toutes les grappes de lilas en fleurs depuis la naissance du monde avaient été entassées là, contre le bleu ardent du ciel. Les avignonnais apprécient les beautés de leur ville, l’après-midi, mais quand la _ de 6 h sonne au clocher de la cathédrale, tous redescendent sur la Place pour y savourer à l’ombre, leur apéritif en attendant le repas du soir.

 

Voyage d’une hollandaise en France 1819
Nous voilà depuis 24 heures dans la ville que Rabelais nommait la ville sonnante : sans doute que de son temps il y avait plus de cloches que je n’en ai jamais vues jusqu’à présent. S’il fallait lui donner un épithète ce serait plutôt celle de suffocante, car la chaleur y est insupportable.
Avignon, située dans une plaine assez étroite, environnée de coteaux qui empêchent la circulation de l’air semble concentrer tous les rayons ardents du soleil de Provence. Lorsqu’on arrive à Avignon par la route d’Aix, on fait presque tout le tour de la ville, sous une belle allée d’ormes, en longeant les remparts gothiques, les plus beaux qu’ils existent et qui sont parfaitement conservés.
Nous montâmes sur la cime la plus élevée du rocher des Dons sur lequel se trouve la cathédrale. La vue sur le fertile comtat d’Avignon, le fleuve et les collines qui bornent l’horizon est délicieuse.